L'utilisation du DPI a souvent été mentionnée comme
une science de « concepteurs de bébés », avec le spectre de Frankenstein
derrière, ou bien revient à s’engager sur la pente glissante du « bébé à la
demande » où l’on pourrait choisir les gènes selon les volontés des parents. Le
DPI ne porte pour l’instant que sur le choix des embryons avant que
l'implantation n’ait lieu afin de s'assurer que le fœtus est exempt
d’affections génétiques, plutôt que de la manipulation génétique. Quels sont
les risques de rechercher des caractères génétiques n’ayant pas d’intérêts
directs pour la santé de l’enfant par des examens pan-génomes ? voir s’étendre
à une dimension mondiale une offre marchande en matière de tests génétiques,
des examens non validés cliniquement, des informations approximatives en
matière de diagnostics génétiques avec le risque d’induire des jugements
précoces qui pourraient être regrettés par ceux qui les auront prises trop
vite, ainsi qu’un risque d’erreur important, générer des situations d’anxiété,
des perte de confidentialité des données biologiques d’un tiers (selon le CCNE,
comité d’éthique français). Une équipe de chercheurs britanniques a récemment
mis au point une technique de DPI (le karyomapping) permettant de déterminer de
multiples caractéristiques de prédisposition à de nombreuses affections à
partir de l’analyse d’une seule cellule embryonnaire. La recherche ne se limite
donc plus à une seule pathologie.
La mise en pratique de cette nouvelle possibilité
technique se heurte cependant à un obstacle : en fécondation in vitro,
le nombre d’embryons pouvant être produits et donc analysables est limité (une
dizaine par tentative de FIV) ce qui ne permet pas d’obtenir un embryon ayant
toutes les caractéristiques génétiques voulues ou bien de fabriquer un «
surhomme », sauf si l’on réussi à produire des ovocytes de manière artificielle
(à partir de cellules souches par exemple) mais là encore ces ovocytes
porteraient les caractéristiques de la cellule d’où ils sont dérivés.
Etant donné l’eugénisme pratiqué en Allemagne nazie
avant et pendant la Seconde Guerre mondiale plusieurs individus et groupes
appuient l’interdiction du DPI et craignent que son utilisation pour prévenir
les handicaps ne mène à l’émergence d’attitudes négatives au sein de la société
vis-à-vis des personnes souffrant de maladies chroniques ou des personnes
handicapées. Le DPI pose de nombreuses questions, parfois même se heurte aux
instances conservatrices qui associent douleur et dignité humaine. Ainsi,
peut-on trouver sur les sites consacrés aux réflexions de bioéthique ce genre
de questionnement : Qui cherche-t-on véritablement à protéger de la souffrance
: l’enfant ou ses parents ? Si l’on refuse la naissance d’enfants atteints de
graves maladies, quelle place accorder aux personnes handicapées par exemple ?
La plupart de ces instances insistent sur le fait de ne pas « stigmatiser « les
personnes ayant un handicap. Il est vrai qu’une normalisation de la population
pourrait amener ce genre de dérive. Mais la stigmatisation d’un handicap ne
vient pas du fait de l’évitement du handicap, et on espère qu’une personne
handicapée ne souhaite pas voir la naissance d’autres handicapés pour pouvoir
se sentir acceptée ; il s’agit plutôt du regard que la société à sur le
handicap, et comment la société parvient à faire face aux handicaps et à leur
prise en charge.
Les tests génétiques sont le plus souvent perçus par
les populations comme potentiellement eugéniques. Or les autres techniques de
détection d’anomalies chez le fœtus ou l’embryon, comme l’échographie, qui peut
pourtant amener à l‘interruption thérapeutique de grossesse (ITG), ne suscitent
presque aucune interrogation éthique; Un objectif possible serait d'éliminer
les connotations eugéniques rattachées aux techniques de sélection d’embryon,
sans renoncer aux avantages du progrès scientifique et technique. En regardant
de plus près les pratiques de la biomédecine contemporaine, on ne retrouve pas
les discours des disciples de l'eugénisme. On n’y distingue pas de grands desseins
de standardisation génétique de la population, pas de programmes euthanasiques
nationaux, pas d'idéologie basée sur la décadence de l'hérédité, de propos
raciste. La formulation eugénique du DPI permet donc à ses détracteurs d’éluder
le débat, et d’opérer un raccourci expéditif entre les décisions d'individus
libres et celles bâties par un état despotique. On notera également qu’un des
critères qui permet de distinguer le DPI d’une politique eugénique est qu’il
n’est aucunement obligatoire pour les populations à risque et que rien ne
saurait être imposé aux couples.
Un autre raisonnement est que le DPI est une méthode
eugénique car il empêchera le cours naturel de la sélection naturelle, argument
encore une fois contradictoire, la sélection naturelle étant basée sur
l’élimination des plus faibles et la survie des plus adaptés au milieu. Pour
certains, le risque lié à l’utilisation du DPI pourrait donc être la tentation
de privilégier l’élimination anténatale plutôt que la recherche des moyens de
guérir les maladies, mais encore une fois, l’un n’empêche pas l’autre. La
médecine prédictive est plus une médecine d’évitement de la maladie qu’une
médecine de réparation. Écrémage sournois et dissimulé des embryons pour une
société de la performance ? Nos sociétés fabriquent pourtant leurs propres
règles de la performance, et cela au quotidien : par le truchement du
spectacle, de l'exceptionnel, de l'exploit, de la réussite sociale, scolaire,
familiale. Elle survalorise ce que nous appelons des succès, l’assujettissement
à des canons de beauté et élimine ou délaisse ceux considérés comme médiocres.
Nous ne luttons pas contre ce modèle sociétale qui fait des meilleurs des
Dieux, et des autres, des laissés pour compte, sous peine qu’il stigmatise les
uns; nous n’envoyons pas en prisons les athlètes et les blondes aux formes
généreuses pour crime contre l’humanité.
Le DPI pose donc des problèmes de société : Au nom de
quoi autoriser ou interdire ? Que sommes-nous prêts à consentir pour satisfaire
telle ou telle demande particulière ? Et à qui revient de décider ce qui est
bon ou mauvais pour le bonheur de la plupart ? Une alternative à une dérive
pseudo-préventive serait l’établissement de règles prudentielles et le
financement de la recherche (et du diagnostic) exclusivement par les pouvoirs
publics pour constituer un gage de stabilité juridique et de sécurité éthique
susceptible de garantir la qualité des pratiques. Mais sur quels principes
doit-on collectivement s’accorder ? En quel sens la nécessité de garantir le respect
de la personne humaine implique-t-elle de légiférer ? Il est difficile de
croire en un corpus d’idées morales, philosophiques, éthiques et religieuses et
nous sommes plutôt confrontés ici à une confusion de conceptions concurrentes.
Dans un souci de dissiper les spectres de Frankenstein, de « bienvenue à
Gattaca », « 1984 » et autres visions d’un futur eugénique, il faudrait non pas
« développer une conception ambigüe de l’opinion publique » mais plutôt
maintenir le principe de publicité (informations, presse, débats…) face au
règne d’un sentiment devenu opaque, tout en restant méfiant vis-à-vis du
principe majoritaire. Pour cela, les états généraux de la bioéthique, ont été
conçus pour promouvoir la réflexion instruite et éclairée du plus grand nombre sur
des questions telles que celles apportées par le diagnostic préimplantatoire.