mardi 6 octobre 2009

ETHIQUE




L'utilisation du DPI a souvent été mentionnée comme une science de « concepteurs de bébés », avec le spectre de Frankenstein derrière, ou bien revient à s’engager sur la pente glissante du « bébé à la demande » où l’on pourrait choisir les gènes selon les volontés des parents. Le DPI ne porte pour l’instant que sur le choix des embryons avant que l'implantation n’ait lieu afin de s'assurer que le fœtus est exempt d’affections génétiques, plutôt que de la manipulation génétique. Quels sont les risques de rechercher des caractères génétiques n’ayant pas d’intérêts directs pour la santé de l’enfant par des examens pan-génomes ? voir s’étendre à une dimension mondiale une offre marchande en matière de tests génétiques, des examens non validés cliniquement, des informations approximatives en matière de diagnostics génétiques avec le risque d’induire des jugements précoces qui pourraient être regrettés par ceux qui les auront prises trop vite, ainsi qu’un risque d’erreur important, générer des situations d’anxiété, des perte de confidentialité des données biologiques d’un tiers (selon le CCNE, comité d’éthique français). Une équipe de chercheurs britanniques a récemment mis au point une technique de DPI (le karyomapping) permettant de déterminer de multiples caractéristiques de prédisposition à de nombreuses affections à partir de l’analyse d’une seule cellule embryonnaire. La recherche ne se limite donc plus à une seule pathologie.

La mise en pratique de cette nouvelle possibilité technique se heurte cependant à un obstacle : en fécondation in vitro, le nombre d’embryons pouvant être produits et donc analysables est limité (une dizaine par tentative de FIV) ce qui ne permet pas d’obtenir un embryon ayant toutes les caractéristiques génétiques voulues ou bien de fabriquer un « surhomme », sauf si l’on réussi à produire des ovocytes de manière artificielle (à partir de cellules souches par exemple) mais là encore ces ovocytes porteraient les caractéristiques de la cellule d’où ils sont dérivés.
Etant donné l’eugénisme pratiqué en Allemagne nazie avant et pendant la Seconde Guerre mondiale plusieurs individus et groupes appuient l’interdiction du DPI et craignent que son utilisation pour prévenir les handicaps ne mène à l’émergence d’attitudes négatives au sein de la société vis-à-vis des personnes souffrant de maladies chroniques ou des personnes handicapées. Le DPI pose de nombreuses questions, parfois même se heurte aux instances conservatrices qui associent douleur et dignité humaine. Ainsi, peut-on trouver sur les sites consacrés aux réflexions de bioéthique ce genre de questionnement : Qui cherche-t-on véritablement à protéger de la souffrance : l’enfant ou ses parents ? Si l’on refuse la naissance d’enfants atteints de graves maladies, quelle place accorder aux personnes handicapées par exemple ? La plupart de ces instances insistent sur le fait de ne pas « stigmatiser « les personnes ayant un handicap. Il est vrai qu’une normalisation de la population pourrait amener ce genre de dérive. Mais la stigmatisation d’un handicap ne vient pas du fait de l’évitement du handicap, et on espère qu’une personne handicapée ne souhaite pas voir la naissance d’autres handicapés pour pouvoir se sentir acceptée ; il s’agit plutôt du regard que la société à sur le handicap, et comment la société parvient à faire face aux handicaps et à leur prise en charge.

Les tests génétiques sont le plus souvent perçus par les populations comme potentiellement eugéniques. Or les autres techniques de détection d’anomalies chez le fœtus ou l’embryon, comme l’échographie, qui peut pourtant amener à l‘interruption thérapeutique de grossesse (ITG), ne suscitent presque aucune interrogation éthique; Un objectif possible serait d'éliminer les connotations eugéniques rattachées aux techniques de sélection d’embryon, sans renoncer aux avantages du progrès scientifique et technique. En regardant de plus près les pratiques de la biomédecine contemporaine, on ne retrouve pas les discours des disciples de l'eugénisme. On n’y distingue pas de grands desseins de standardisation génétique de la population, pas de programmes euthanasiques nationaux, pas d'idéologie basée sur la décadence de l'hérédité, de propos raciste. La formulation eugénique du DPI permet donc à ses détracteurs d’éluder le débat, et d’opérer un raccourci expéditif entre les décisions d'individus libres et celles bâties par un état despotique. On notera également qu’un des critères qui permet de distinguer le DPI d’une politique eugénique est qu’il n’est aucunement obligatoire pour les populations à risque et que rien ne saurait être imposé aux couples.

Un autre raisonnement est que le DPI est une méthode eugénique car il empêchera le cours naturel de la sélection naturelle, argument encore une fois contradictoire, la sélection naturelle étant basée sur l’élimination des plus faibles et la survie des plus adaptés au milieu. Pour certains, le risque lié à l’utilisation du DPI pourrait donc être la tentation de privilégier l’élimination anténatale plutôt que la recherche des moyens de guérir les maladies, mais encore une fois, l’un n’empêche pas l’autre. La médecine prédictive est plus une médecine d’évitement de la maladie qu’une médecine de réparation. Écrémage sournois et dissimulé des embryons pour une société de la performance ? Nos sociétés fabriquent pourtant leurs propres règles de la performance, et cela au quotidien : par le truchement du spectacle, de l'exceptionnel, de l'exploit, de la réussite sociale, scolaire, familiale. Elle survalorise ce que nous appelons des succès, l’assujettissement à des canons de beauté et élimine ou délaisse ceux considérés comme médiocres. Nous ne luttons pas contre ce modèle sociétale qui fait des meilleurs des Dieux, et des autres, des laissés pour compte, sous peine qu’il stigmatise les uns; nous n’envoyons pas en prisons les athlètes et les blondes aux formes généreuses pour crime contre l’humanité.





Le DPI pose donc des problèmes de société : Au nom de quoi autoriser ou interdire ? Que sommes-nous prêts à consentir pour satisfaire telle ou telle demande particulière ? Et à qui revient de décider ce qui est bon ou mauvais pour le bonheur de la plupart ? Une alternative à une dérive pseudo-préventive serait l’établissement de règles prudentielles et le financement de la recherche (et du diagnostic) exclusivement par les pouvoirs publics pour constituer un gage de stabilité juridique et de sécurité éthique susceptible de garantir la qualité des pratiques. Mais sur quels principes doit-on collectivement s’accorder ? En quel sens la nécessité de garantir le respect de la personne humaine implique-t-elle de légiférer ? Il est difficile de croire en un corpus d’idées morales, philosophiques, éthiques et religieuses et nous sommes plutôt confrontés ici à une confusion de conceptions concurrentes. 




Dans un souci de dissiper les spectres de Frankenstein, de « bienvenue à Gattaca », « 1984 » et autres visions d’un futur eugénique, il faudrait non pas « développer une conception ambigüe de l’opinion publique » mais plutôt maintenir le principe de publicité (informations, presse, débats…) face au règne d’un sentiment devenu opaque, tout en restant méfiant vis-à-vis du principe majoritaire. Pour cela, les états généraux de la bioéthique, ont été conçus pour promouvoir la réflexion instruite et éclairée du plus grand nombre sur des questions telles que celles apportées par le diagnostic préimplantatoire.